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Antigel 2024

Swans à l’Alhambra : bruit blanc, magie noire

lundi 1er avril 2024 par Lt. Felipe Caramelos relecture , Tom Rad-Yaute rédaction CC by-nc-sa

Compte-rendu

Le cadre grandiose de l’Alhambra donne aux concerts qui s’y déroulent une dimension hors du commun. Quel chance d’y voir un monument du rock avant-gardiste de la trempe des Swans, accompagnés pour l’occasion des paysages sonores futuristes de Maria W. Horn !

Swans
Simon Munoz

Tous les lieux de spectacle ne se valent pas et, parmi eux, la salle genevoise l’Alhambra occupe une place tout à fait à part. Construite en 1920 pour le cinéma – le premier cinéma sonore de Suisse ! –, elle s’appelait à l’origine « Théâtre cinématographique Omnia ». Ce nom, autrement plus évocateur que l’appellation actuelle, dit bien le pouvoir presque magique du lieu, qui, non seulement offre un cadre grandiose qui magnifie le concert, mais l’inscrit dans l’épaisseur du temps, dans l’histoire. Tout ici dit le spectacle avec un grand « S ». Voir ici des groupes de la trempe des Swans, ou Einstürzende Neubauten [1] avant eux, est vraiment une chance.

  • Maria W. Horn
    Simon Munoz

Lorsqu’on entre, Maria W Horn est sur scène et une sorte de petite sonate électronique aux notes lumineuses soulignées par des basses sombres et grésillantes résonne sous les hauts plafonds de la salle. D’autres titres évoqueront plutôt des paysages sonores formés de sonorités longues qui s’étirent, assombrissent le ciel, se recouvrent et se mêlent. Des nœuds, tensions dramatiques qui se forment et montent inéluctablement en force ou au contraire cèdent et se défont sous le coup de brusques accidents. Certains passages captent l’attention mais d’autres, qui font parfois penser à la bande-son d’un film futuriste, ramènent à quelque chose de plus balisé.

Swans
Simon Munoz



Les Swans sont un grand nom du rock avant-gardiste. Leur musique prend racine dans la radicalité du mouvement no wave et leur discographie court sur près de 40 ans. Je la connais un peu, quelques albums, mais pas plus que ça et c’est la première fois que je les vois sur scène. La salle est bien remplie, on reconnaît d’ailleurs dans le public plusieurs têtes bien connues de la scène musicale aventureuse genevoise et quelque chose me dit que les gens qui sont là ce soir n’y sont pas par hasard. C’est rassurant, en tous cas, de voir qu’un groupe de ce style remplit une salle de cette taille et fait événement.

Je mets du temps à rentrer dans le concert. Les premiers morceaux ont des allures d’intros, avec un rythme peu marqué, des montées d’intensité et des silences brusques. Les musiciens sont assis ou debout, disposés en arc de cercle autour du chanteur, guitariste, fondateur et seul membre originel du groupe, Michael Gira, qui capte les regards et commande à la musique avec de grands gestes des bras. Les éléments mélodiques et la voix sont utilisés de manière parcimonieuse, installent des ambiances plus qu’ils ne construisent des mélodies. Dans ces longues pièces, l’oreille a peu de repères auxquels se raccrocher. C’est comme une phase d’approche, d’apprivoisement. Elle s’immerge lentement, se coule dans le son. La température descend. Le Swan est un animal à sang froid, au pouls lent. La voix a des intonations de plainte hallucinée, de lamentation d’homme damné, mais ses éclats la place au centre de l’écoute, rappellent que le feu couve et la légendaire véhémence du groupe n’est jamais loin.

  • Swans
    Simon Munoz

La temporalité très étirée de la musique des Swans, son exécution minutieuse produisent l’effet caractéristique des musiques répétitives et minimalistes : une immersion en profondeur, une attention accrue au tissu sonore et à ses variations. Dans ces premiers moments, le groupe donne ainsi l’impression de désorienter volontairement l’auditeur, de défaire les repères, de délimiter un territoire sonore qui lui est propre, de construire et d’organiser précisément le champ de l’écoute pour ce qui va suivre.

Nous sommes tout ouïe. Chaque son est à sa place. Les sensations auditives se font progressivement plus nettes, précises, à la mesure des gestes posés par les musiciens sur scène : elles se rapprochent de celles qu’on peut ressentir en musique contemporaine. La tension omniprésente monte implacablement, la colère sourde, la violence contenue finissent par éclater comme des orages dans des moments paroxystiques d’une ampleur et d’une intensité phénoménales, portés par un couple basse-batterie absolument massif.

Il y a dans cette musique une tension entre une aspiration lyrique, poétique, et une forme de brutalité pesante, déshumanisée et implacable, qui la traverse et lui donne une aura mystique, spirituelle, fascinante. Le souffle puissant qui la porte ne se dément jamais, durant les deux heures trente de ce concert fleuve magistral.

Lorsque, finalement, il arrive à son terme, l’impression est forte, les mots sont rares et on s’accorde à dire qu’on a vécu un moment unique.

    Young gods et Swans au Faubourg en 1987 : un concert pour l’histoire

    par Lieutenant Caramel

    Le 12 septembre 1987 à la salle du Faubourg à Genève s’est déroulé un « concert pour l’histoire » avec les groupes The Young Gods de Fribourg à la rue de Lausanne de Genève et les Swans de New York.
    En 1984, les Young Gods avaient déjà invité les Swans au Fri-Son, un groupe qui les avait impressionnés en vidant la salle par un son insoutenable dès le troisième morceau de leur album COP. Le lendemain, Franz Treichler balayait la salle après le concert des Swans et avait choisi son nom de groupe en le trouvant sur la setlist tombée au sol. Michael Gira, pas méchant mais quand même un peu tête de con, leur en voudra pendant un moment. Mais cela n’empêchera pas le batteur des Swans, Roli Mosimann, de devenir le producteur de nombreux albums des Young Gods et de créer des liens jamais rompus entre les deux groupes.
    Si j’avais loupé celui du Fri-Son, j’étais au concert de 1987 à Genève dans cette grande salle communale du Faubourg où les deux formations se retrouvaient de nouveau. Je venais d’acheter le dernier opus des Swans à Sounds et j’étais impatient de les entendre in vivo... Selon les témoignages parus dans Une épopée électrique (excellent livre sur l’association PTR, organisatrice de concerts), il est précisé que les deux groupes se disputaient pour passer en premier, Franz Treichler a tenu jusqu’au bout « car après Swans plus personne ne peut jouer… », suite de son expérience de 1984.
    Il avait raison, les spectateurs étaient partout collés au plafond, la police a stoppé le concert parce que le son était trop fort :

    « Les cygnes (Swans) sont des créatures majestueuses et magnifiques avec un tempérament de merde… »

    dixit son chanteur. Swans, une musique sympathique et assourdissante sur des paroles inspirées de Jean Genet et Marquis de Sade.
    Le journal de Genève titrait le lendemain « Un exorcisme avec les Young Gods »… Pas vraiment faux ! Ce fut d’ailleurs, le dernier concert au Faubourg avant plusieurs années.


Notes

[1Qui, d’ailleurs, y jouent à nouveau le 6 octobre.

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